vendredi 9 janvier 2009

James et la pêche géante

Parfois, Juliette se rend chez son analyste, au coeur de Paris.
Comme les séances sont coincées étroitement dans son emploi du temps entre l'heure de l'apéritif et celle du café, elle raccourcit au plus juste le temps que prennent les voyages, et la séance devient un plat de résistance...
Il lui a fallu quelques semaines avant de repérer le chemin le plus court pour franchir la distance entre son atelier et la porte de James (ainsi se nomme-t-il). Le projet étant de vivre le voyage comme une récréation.
James  habite dans le Marais. Aussi, Juliette saute dans le train pour en descendre au parc du Luxembourg. Elle traverse la magnifique porte ferronnée la plus proche et hume l'air ambiant tout en se gâvant visuellement de chlorophylle.  Le crissement des graviers de l'allée la conduit jusqu'à la grande porte suivante. Là, elle achète un sandwich mozzarella-tomates séchées-huile d'olive, trouve un "vélo libérant" qu'elle enfourche.  Elle dévale la rue presque sans pédaler. En passant devant la Sorbonne, l'asphalte devient pavés.  A cet endroit précis, les soubresauts du vélo agitent la jeune femme comme le tambour d'une machine à laver à l'étape "essorage". Sa voix de chèvre secouée lui dit (se taper sur la poitrine en lisant ces quelques mots) : "tuuuuu sens côôôôôm ça vibre là dessous". Ensuite la rue est rayée de ralentisseurs, donc, freinage intensif. Pour peu que le temps soit ensoleillé, c'est le moment de la semaine durant lequel Juliette tient la certitude d'être heureuse. C'est fou ce que le vélo dans une descente pavée, et le soleil au plus haut de sa lente montée, peuvent conjuguer le bonheur au présent simple.
Arrivée au bas de la rue, si le vélib n'a pas supporté la vitesse et les chaos, On peut l'échanger. Cela peut arriver.  Cela arrive souvent. Hier Juliette a posé son engin dont la roue arrière était voilée. Un vieux monsieur intrigué par la modernité, s'est arrêté pour observer la manoeuvre d'amarrage du cycle. Les mains derrière le dos, un grand manteau poilu sur son gros ventre,  il s'est posté devant la roue avant, bien campé dans ses deux énormes godillots. Lorsque le vélo s'est enclenché sur la base il a dit "et voilà, c'est simple", et il est reparti, sans même regarder Juliette, serrant dans ses paluches son sac plastique contenant deux bananes. 
Poursuivant son chemin cyclé, elle longe la rue des écoles, et traverse la Seine pour rejoindre le parvis de la cathédrale. Elle déambulle prudemment entre les touristes, le vélo dans une main, son repas dans l'autre. Elle adresse un bonjour à Notre Dame, ravie de lui demander une bénédiction avant d'aller déposer une tranche de vie chez James.
Puis elle coupe l'Ile de la cité  pour rejoindre le Marais, et amarre son vélo devant chez Jo, la  station de taxis. Elle pousse la lourde porte de l'immeuble de James de ses deux bras tendus. dans cet effort, elle a souvent l'impression de mouvoir La Pesanteur, de déplacer la planète vers un autre centre de gravité. 
La gardienne la connaît bien : elle est la "dame du mercredi 13h" lorsqu'elle oublie le nom du sésame, l'incontournable code d'entrée. La porte du cabinet de James n'est jamais fermée. Cette particularité la laisse toujours assez inquiète, avec cette impression qu'un quidam pourrait entrer incognito. Le voleur, il s'agirait d'un voleur, pourrait se cacher derrière la porte du cabinet et détourner les tranches de vies successivement déposées par les clients de James au fil de la journée... Et qui sait ? éventer des secrets, agiter des fantômes, écrire des nouvelles...

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