
C'était aujourd'hui, ce matin. Je me précipite dans la rue plutôt hâtivement, après avoir bu rapidement mon café, oublié de remettre ma brosse à dent dans mon sac déjà surchargé, oublié aussi de me passer un peu de couleur sur les lèvres avant de sortir, oublié de sortir la poubelle, oublié de poster un message à mon banquier.
Je joue un rôle de membre de jury pour quelques jours. Aussi, j'ai conscience que ma tenue doit être en rapport avec la solennité de la tâche à accomplir : mieux vaut éviter les traces de dentifrice sur les joues, celles de café au coin des lèvres, celles de salade entre les dents. Aussi, en frôlant le rétroviseur d'une moto garée sur le trottoir, je découvre l'objet qui va me rassurer. J'arrête ma course devant le miroir. J'exécute quelques grimaces destinées à apprécier mon état de présentation sous le meilleur angle possible (vous savez tous ces petits gestes que les filles intègrent très tôt dans leurs habitudes, et qui en font des vraies filles aux yeux des sociologues). L'absence de traces indésirables validée, j'ouvre mon grand sac à main rempli de toutes les panoplies indispensables pour sécuriser ma journée (mal de tête inopiné, fringale intempestive, maquillage dévasté, pulsion d'écriture irrésistible, envie d'acheter compulsive, envie de dormir irrépressible ...) et me passe, vite fait, un peu de "brillant" sur les lèvres (panoplie "maquillage ravagé").
Une grand mère très voûtée, canne dans une main, cabas de courses dans l'autre, clopine dans ma direction et s'arrète. Mais je la vois sans la voir, trop occupée par mon projet esthétique. La grosse moto et moi bloquons le passage des piétons. Je me mire à gogo. L'opération de ravalement quasiment achevée, je la vois enfin, son insistante immobilité et son sourire m'alertent. Ma spectatrice voûtée relève la tête à l'oblique pour me parler. De ce fait elle me regarde un peu "par dessous". Une vilaine arthrose doit lui bloquer le cou et gêner le mouvement de relevage de sa tête. Elle sourit, ce qui amplifie joliment ses rides, son visage rayonne. Elle me lance un "vous êtes vraiment belle vous savez!". J'éclate de rire, ma préoccupation visant à dépister d'éventuels éléments disgracieux couplée aux grimaces facilitant les perspectives idoines, n'ont rien à voir avec des pauses de mannequin.
A la réflexion, je ne pourrais dire si ma grand mère passante m'adressait une lumière sortie tout droit de son coeur, ou s'il s'agissait d'une stratégie visant à abréger son attente.
Pressée, mais le coeur léger, j'ai repris mon chemin, tout en jetant un dernier regard à ma passante. Elle avait déjà disparu. Et je ne sais plus si je l'ai vraiment vue.
2 commentaires:
Mais si! T'es belle!
J'aime bien ce commentaire anonyme.
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