
J'ai connu Emmanuelle à la fac. C'est une nana (?) immense. En fait elle s'appelait Germaine, mais elle préférait qu'on la nomme Emmanuelle. Elle préférait aussi ses nouveaux seins, à ceux d'avant que chacun dans la promo désespérait d'avoir connu à temps. Elle se sentait mieux avec ses lèvres pulpeuses qui ne ressemblaient en rien à celles d'avant que chacun maudissait de n'avoir vues avant. Elle appréciait maintenant ses rondeurs fessières qui remplissaient si bien ses jeans en cuir, alors que nous nous demandions tous régulièrement, mais discrètement, quelle était la forme géométrique des précédentes. Il était clair que sa peau diaphane, sur ses pommettes, tendue, captait bien plus avantageusement la lumière depuis que ses excédents dermiques avaient rejoint en lambeaux, la poubelle de la clinique liftologique. Au bout de ses interminables doigts, des ongles aux longueurs assassines menaçaient chacun d'une extermination vernie à la moindre arabesque digitale.
Quant à ses iris lundi-bleus, le mardi ils viraient au vert puis sombraient dans les bruns le mercredi avant de plonger dans les noirs le jeudi, et le jeudi soir nous n'étions plus là.
On savait bien qu'il y avait un truc, mais on se prenait à douter en l'observant. On se disait "est ce bien elle" en même temps que "comment était-elle avant?".
Les garçons n'avaient plus de doute lorsqu'elle quittait la salle avant la fin du cours pour ne pas rater son avion. Elle prenait son sac crouté (assorti à ses bottines aiguilles cloutées et à son large ceinturon couteux), jetait sa lourde chevelure ondulée par dessus son (autre)oreille (sa chevelure était toujours du mauvais côté, diable, il fallait qu'elle la replace régulièrement à l'opposé), et nous jetait un "byyyyyyye", en chaloupant langoureusement, à donner le mal de mère à une étoile.
Les garçons n'avaient plus de doute. Ils se disaient que c'était peut être un ancien garçon, un garçon d'avant. Ils se disaient aussi que c'était peut être une fille aussi. Comme ça, en se disant l'un et l'autre, ils ne pouvaient plus douter de rien, puisqu'ils avaient tout dit.
Elle était là. Mais elle n'était pas là. C'était elle, mais personne n'en était certain.
Je ne pouvais pas la voir. J'avais du mal à voir où la voir aussi.
Elle m'insupportait. Un je ne sais quoi (!) me la rendait insupportable.
Alors immanquablement, lorsque je rentrais le soir à la maison, je m'écroulais dans mon fauteuil, épuisée. Ce qui me fatiguait n'était pas le métro, le sandwich de midi, la course pour attraper le bus, ou ce naz de RER qui avait encore du retard. Non. Ce qui me fatiguait c'était cette question "qu'est ce qu'elle m'a fait pour m'incommoder autant ?". Elle. Emmanuelle-Germaine.
Toujours attentif à mes lamentations récurrentes, ce bon vieux Bernard, qui sait si bien expliquer la vie des bêtes, ne me rassurait pas en me disant "c'est ta part d'ombre, cherche ce qui parle de toi chez elle". Blurp. Rien. Vaut mieux pas.
Mais bon, je me suis dis qu'il fallait que je fasse quelque chose pour gommer ce côté obscur de mes journées de fac. Comme elle faisait partie de mon sous-groupe je ne pouvais l'éviter que lorsqu'un séjour la retenait aux USA ou à Singapour. Elle était LA personne à laquelle je n'avais jamais adressé la parole, et jusque là, c'était une mesure de préservation qui m'allait très bien.
Lorsqu'elle est arrivée lundi dans la salle de cours, en retard, comme d'hab, elle s'est placée loin, loin, le plus loin de moi. Tranquille. J'étais tranquille.
Sauf que nous étions en TD, il s'agissait de préparer un exercice en binôme avec la consigne de rejoindre la personne qui nous semblait la plus éloignée de nous. Un truc bateau somme toute, sauf que.
Il a fallu que je cours vite, car nous étions plusieurs sur le coup.
Et voilà, c'est moi qui ai gagné. Je me suis placée sous le feu d'Emmanuelle, pour lui dire comment je la portais lourdement sur mon petit coeur affaibli. Et puis je lui ai dit merci de m'avoir permis de faire ce chemin impossible vers mon ombre. Elle m'a regardée bizarrement, m'a dit qu'elle me trouvait jolie avec mes boucles d'oreille, l'air de dire "ma pov fille t'en tiens une couche toi..."mais peut être aussi l'air de rien dire, ou de dire autre chose, et puis voilà. J'étais fière de moi, plus légère.
Le soir en rentrant, j'ai ouvert ma boite aux lettres, et j'ai trouvé un mail de facebook "Emmanuelle vous a choisie comme amie". Arghhhhhhhhh. J'ai jeté le mail et j'ai déchiré face book. Mon ombre m'avait précédée.
1 commentaire:
Ouais, j'vois déjà ce que Bernard a pu te dire... "Mais voyons, Marie, il y a forcément un quelque chose de chez elle que tu dois avoir en toi, mais que tu renies. Cherche donc encore un peu, tu vas trouver j'en suis sûr."
Cherche pas trop quand même, les poupées silly-cônées c'est une philosophie à part.
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