jeudi 9 juillet 2009

La queue d'une nouille

Martine déteste son prénom. C'est la raison pour laquelle elle choisit de mettre en scène Juliette lorsqu'elle enfile son costume de postière pour écrire sur son blog. Juliette lui permet aussi de mélanger les histoires comme un peintre sélectionnerait plusieurs couleurs avant de poser sur la toile une composition harmonieuse, suffisamment riche pour ne pas ennuyer l'observateur.
Plusieurs de ses amis lecteurs lui ont indiqué leurs liens avec ce prénom imaginaire : Juliette, tombé sous la plume, une nuit, au hasard des élucubrations noctambules de la postière. Des affinités secrètes relient intimement le prénom de "Juliette" aux personnages mis en images. Pour l'un il lui rappelle de sa grand-mère adorée, pour l'autre, le prénom adopté pour signer des poêmes, lorsqu'elle avait 18 ans, pour une autre encore, son deuxième prénom, sa seconde peau, comme un dessous chic que personne ne verrait, lequel, par sa présence à fleur d'elle, suffirait à lui donner l'assurance de la noblesse de son âme : de la dentelle et de la soie. Juliette serait un prénom de dentelle et de soie, s'immisçant subrepticement dans les rêves des lecteurs, les fondant dans la chimère des mots assemblés sous l'emprise d'une écriture frénétique et enivrante.
Parfois Juliette, entre deux rédactions autistiques, tombe dans le "vide des plumes", le blanc profond, l'absence, la paralysie.
Silence, plus aucun mot n'émerge de ses émotions sous tensions, les images ne sont plus reliées à la pulpe des doigts. Aussi, profite-t-elle de ce temps de pause pour faire relire le texte à Jules, son compagnon Terre-à-terre : ai-je égaré quelques fautes, ai-je exprimé maladroitement quelque chose, pourrais-je froisser quelqu'un à défaut de le masquer assez ?
Et là, tout peut arriver. Soit Jules aime, tout, un morceau, une image. Il voyage alors avec les images proposées, et prolonge le texte à sa façon, se perd dans les méandres des suggestions et des images cachées sous les mots. Soit c'est l'abattoir et Jules s'écrie : c'est pas possible, tu peux pas publier ça comme ça, tu te rends compte de l'état d' Ernest, lorsqu'il va s'apercevoir que tu confies son intimité aux constellations interstellaires ? Ou : vraiment tu inventes trop, je me demande comment tes lecteurs vont finir par retrouver la vérité, l'essence de l'histoire. Ou alors : n'importe quoi la fin de ton récit, une vraie queue de nouille !
C'est alors que le choc des constats bruts de Jules fait violence : la grève s'achève, le silence devient grand bruit, Juliette commence à imaginer la queue d'une nouille, et repart dans un autisme épistolaire subliminal. La nouille : le truc mou et informe par excellence... Alors la queue d'une nouille : le terminal flou d'un truc mou... Elle reprend donc la fin de son texte, juste pour en préciser le sens, et délire de plus belle...
Elle se revoit en cours de maths, en 6ème, découvrant le signe
"infini" et l'immensité de ce petit symbole mathématique ridicule. Ce 8 couché, trop fatigué de n'en plus finir, cette queue de nouille en circuit fermé, cette ouverture enfermée dans un consensus trop sage pour lui. Voilà ce qui conviendrait à Juliette : que la fin de ses textes vienne caresser les émotions de ses lecteurs en s'échouant sur leurs rives érodées par tant de tempêtes, que la fin de ses billets s'ouvre vers un infini universel dans lequel chacun retrouverait, avec bonheur, et étonnement, une petite part de lui-même.

1 commentaire:

Jacques a dit…

L'infini couché me donne de jolies lunettes pour regarder un ailleurs.