dimanche 10 janvier 2010

L'eau de là.

Lorsque Juliette se perd dans les injonctions (fais ci-fais ça), se vide d'humour (pas-ci, pas-ça), que sa vie s'embrouille(pas-fais, ça-ci), que les soucis emplissent son sommeil de longues pauses en plomb, que son sourire ne quitte plus les vestiaires, que les idées noires colorent ses rêves de brumes opaques, elle trouve parfois le chemin de l'eau, guidée par je ne sais quel souffle puissant, comme un poême murmurerait à l'oreille fatiguée, une ode à l'envie de vie.
Traversant la rue, Juliette accède à la piscine. Les effluves de chlore qui se dispersent autour du bâtiment en indiquent la présence, rien d'attirant à vrai dire. Elle paie son entrée à l'agent préposé, avance dans le couloir carrelé jusqu'au banc des va-nu-pieds-sinon-rentre-chez-toi, pour s'y déchausser (bien entendu).
Pieds nus (bien entendu), elle quitte son manteau et autres oripeaux dans une cabine à peine isolante, enfile son maillot bleu, glisse dans ses tongs, fourre tout ce qui devient inutile dans un vestiaire au code inoubliable. Ensuite, elle rejoint le bassin en gravissant les marches trempées, coupées par un pédiluve. Les cris des enfants décuplent d' intensité dans l'espace aérien et la précipitent dans un besoin urgent de solitude et de silence. Elle ajuste son bonnet, ses lunettes de grenouille, énormes et peu séduisantes, et plonge.
Cette première coulée est magique. Sous l'eau, enfin.
Juliette se laisse glisser, emportée par l'élan de sa plongée. Ses bras fendant la transparence devant elle, enveloppent sa tête immergée, amortissent la résistance de la masse fluide. Les sons fondent dans l'ouate de ses oreilles immergées, l'eau caresse sa peau, les pensées se délitent dans l'eau. L'o.
Signe rond, poche de l'être, capiton, abandon.
Glisser, se fondre, fusionner.
Onduler dans l'espace liquide, flotter entre surface et fond haut, fendre la masse inconsistante, filer longuement, fuir délicieusement, sans effort, sans peine.
Fermant les yeux, elle fantasme de goûter le luxe de l'espace d'eau pour elle et seulement elle, lumières éteintes, d'éprouver sa forme ondulante, ombre imprécise et dansante dans une obscurité sans consistance. Elle, pourtant, se sent intégrale, enveloppée, massée globalement par les mouvements rythmés de l'eau contre sa peau. Lorsqu'elle émerge, autour d'elle, l'eau se mêle à l'air dans une incertitude sombre, semée de bulles fluorescentes, nées de la danse lente et sous marine de ses membres nageurs, chaos initial, trouble originel.
Sentir la puissance de l'étreinte magistrale, aqueuse, chaude et silencieuse. Oublier. Tout. Le lourd, la pesanteur et sa dictature, les contraintes et leurs nouures.
Juliette plane en eau majeure. 0, aucun angle, aucune prise.