Un long silence nous sépare. Un de ces silences duquel j'aurais aimé entendre vos cris suppliants émerger de l'absence. Le manque de mots, de mes mots à moi, couchés là, frôlant vos yeux et vos émotions. Mais non, rien. Seulement du silence et le battement de ma plume suspendue au dessus du blanc de ma feuille désespérément vide.
Marie ? t'écris plus... ?
Marie ? t'es là... ?
Haut lieu de cela, l'abîme, nul bruit.
Ce n'était pas que je n'avais rien à écrire, mais plutôt cette envie idiote de me sentir portée par le désir que les autres manifesteraient, de me lire. Aussi je prends mes cordes ce soir pour tisser une passerelle sur le blanc latent, et me ficher, une fois encore, d'entendre s'exprimer le désir des autres. Aussi chers lecteurs voici quelques cordes ombilicales pour relier mon désir d'écrire à vos yeux silencieux, et peut être, à vos cris éteints.
Je me suis installée, cette fin de semaine, dans la cuisine de mon ami le bavard Edgar qui s'était engagé auprès de sa tendre Emilie à préparer le repas.
Profitant de ce temps béni pour surtout ne rien faire du tout, et surtout ne pas penser que c'était pas bien du tout de ne rien faire du tout, j'ai posé mon ordinateur sur la table, entre un paquet d'oignons et les restes d'un copieux petit déjeuner. Ne rien faire, donc écrire.
Edgar sera mon objet : il parle facilement, ce qui me semble être une grande qualité, d'autant plus que je ne me l'attribue pas. Jamais. Je me dis née sans son et poussée à crier avec de l'engrais malgré.
Or donc, je m'installe et j'écris ce qu'Edgar fait et dit.
Edgar se dirige vers le placard, saisit une boite métallique et, tout en ouvrant franchement le couvercle au moyen de l'outil approprié, il déclare que c'est exactement ce qu'il lui fallait.
De ma position, je ne vois pas ce dont il s'agit. Débordant de cette enthousiasme dont chacun fait preuve (mais surtout Edgar) lorsqu'il trouve enfin ce qu'il cherchait depuis très longtemps, il plonge résolument son index dans la pâte brune, l'engloutit dans sa bouche et là... grimace. Grosse grimace, yeux circulaires, nez plissé, bouche dédaigneuse et cri désespéré, ohhhhhhh, nnnnnnnon, nuuuul. Il pensait que c’était de la crème de marron, en fait c’était de la purée, nul !
Rattrapé malgré lui par sa capacité à s'adapter et sa tendance à négocier, il propose immédiatement à Emilie, qui grognait déjà devant ce flagrant délit de négligence, de cuire une dinde le lendemain afin de recycler la purée répudiée. Puis Edgar annonce sa décision de remplacer la crème par du miel. C’est tout simple et cela permet de mélanger le miel, les fruits et l’excellent fro
mage blanc acheté hier à Raymond Violet, le fromager bio.
Non, pardon, acheté hier au rayon frais du casino.

Dehors, la pluie tombe fort. Ses claquements secs sur le zinc de la terrasse couvrent la voix estompée d'Edgar qui continue à s'agiter en remuant les lèvres sans que je le comprenne. Interpellé sans doute par l' immobilité de mes doigts sur le clavier, il cesse de remplir les ramequins de fromage, me regarde, puis détourne les yeux vers la vitre opacifiée par les filets d'eau ruisselant. Dans la cuisine le son de la pluie a pris toute la place, et je ne sais plus comment l'écrire.